Tout laisse apercevoir que le monde est en pleine mutation politique et voire géopolitique. Déjà, 2017 a été l’année ouvrant les grands bouleversements qui se cristallisent aujourd’hui. Après l’élection de Donald Trump aux USA sortant de l’interventionnisme légendaire américain, les élections en France et en Allemagne, les deux poids lourds de l’Union Européenne , le 19ème congrès du Parti Communiste Chinois avec la consécration de Xi Jinping, président à vie, devenu le dirigeant ayant les pouvoirs les plus étendus depuis Mao, le grand retour de la Russie sur la scène mondiale depuis l’épisode Syrien.
Ce monde qui s’annonce est troublant tant pour le continent africain que pour les sous-régions le constituant.
Face à la vitesse et à la violence qui accompagnent toujours les changements, sous l’impulsion de l’incontournable mondialisation, le spectacle qu’offre la sous-région de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale) est déroutant et assigne à de nombreux questionnements : la CEMAC est-elle simplement un ectoplasme par rapport aux autres institutions d’intégration interrégionale africaine ? Réduit-elle son espace à n’être qu’un réceptacle pour les intérêts étrangers ou se doit-elle de donner à tous les espaces qui la composent la vocation d’être à la hauteur des Hommes, c’est-à-dire des creusets pour y ancrer des transformations locales ?
À l’aune de ces questionnements, on croit assister à une répétition de l’ancienne Afrique Equatoriale Française (AEF) au moment des indépendances. La CEMAC ne doit plus se percevoir et s’accepter que sous l’angle géopolitique. Plutôt se positionner comme une opportunité de marchés non sous l’angle consumériste mais prenant part activement à la mondialisation avec dynamisme.
La CEMAC l’archétype d’une histoire de l’A.E.F qui se répète
Composée de 6 pays d’Afrique centrale, le lancement officiel des activités de la CEMAC, le 25 juin 1999, en Guinée-Equatoriale était marqué du sceau d’une intégration plus renforcée par la construction d’un marché commun plus concurrentiel et compétitif basé sur la libre circulation des biens et des personnes. Deux décennies plus tard, les objectifs fixés au départ ne sont que des vœux pieux.
Aujourd’hui, difficile de trouver trace d’un projet d’intégration pour l’ensemble des pays de la sous-région. Le projet phare du lancement d’une compagnie aérienne « Air Cemac » desservant l’ensemble des capitales de la sous-région a été abandonné sans explications majeures…
En résolution de crise dans son espace, c’est zéro pointé. Deux cas illustrent cela : la CEMAC s’est fourvoyée dans la crise centrafricaine faisant preuve d’une partialité grossière avec la fameuse ligne rouge de Damara occasionnant le renversement de François Bozizé, point d’orgue de la crise interminable en Centrafrique. Silence de l’institution sous-régionale sur les soupçons d’une tentative de coup d’état contre le pouvoir Equato-guinéen où Centrafricains et Tchadiens seraient impliqués.
A l’instar du Centrafrique embrigadé dans la violence par cycle décennal, le cumul des années de présidence dans les 5 pays restants est de pratiquement 2 siècles. En dépit de ce semblant de stabilité politique, selon le rapport 2015 sur le développement humain dans le monde, les pays de la CEMAC sont lanternes rouges de l’IDH. Cette sous-région apparaît plus comme une zone d’intégration des chefs d’Etat davantage que pour la circulation des capitaux et des hommes, où la majorité de ceux-ci sont pauvres et démunis face aux mutations du monde qui les entoure. Une honteuse abdication politique par l’absence de mobilisation des populations pour la transformation ou l’amélioration de leur environnement immédiat.
Dans toute communauté, toute organisation l’absence de projets communs induit inéluctablement de perpétuelles rivalités.
Revoir le projet d’intégration économique de la CEMAC est opportun pour ouvrir, avec ambition et en priorité, le créneau de la valorisation de la proximité géographique et culturelle ainsi que la complémentarité entre les pays de cet espace sous-régional.
Cette situation est de nature à placer la sous-région en capacité de production par la mutualisation des compétences capable de créer un dynamisme économique impactant positivement le chômage des jeunes de cet espace économique.
La co-production pilier d’une intégration sous-régionale : le cas des productions pétrolières. Une piste ?
Des 6 pays de l’espace CEMAC, 5 sont déjà producteurs de pétrole. Le Centrafrique entend en faire autant. Il est à croire que ce pays adoptera la même stratégie d’échec que nombre de pays africains producteurs de l’or noir, c’est-à-dire faire exporter le pétrole brut et faire importer le produit raffiné.
Dans la possibilité d’une coproduction, la question qui devrait désormais être posée pour une meilleure intégration sous-régionale ambitieuse : « Pourquoi ne pas mutualiser les compétences et autres connaissances dans le but de raffiner localement le pétrole brut » sans nécessairement recourir à l’exportation ? Le secteur pétrolier tourne autour de 3 couples : le couple Exploration/Exploitation ; Raffinage/Distribution ; Polymère/Pétrochimie. De ces trois couples, aucun des pays africains de l’espace CEMAC n’y possède de compétences réelles et crédibles.
En mettant en avant la notion de co-production avec socle la complémentarité et l’avantage d’une proximité géographique, les différents pays ont la possibilité de mutualiser les compétences pour investir en priorité, par exemple, le couple Raffinage/Distribution. Cette seule approche aura le mérite de circonscrire les problèmes liés aux hydrocarbures frelatés distribués en Afrique; aussi réduire les pertes économiques colossales que la sous-région enregistre par l’importation des produits pétroliers raffinés hors du continent.
L’intérêt de la co-production comme paradigme de complémentarité exploitant le créneau de la proximité géographique
Exploitant le créneau de la proximité géographique dans la co-production, les différents pays ne se percevront plus sous l’angle géopolitique en exploitant les faiblesses momentanées des uns et des autres ; plutôt chaque pays sera considéré comme un élément d’un ensemble, un réceptacle d’implantation des politiques de production orientées populations contribuant à la maîtrise de l’environnement, de la lutte contre la pollution et la valorisation des compétences et savoir-faire locaux.
Les retombées de la co-production dans un espace d’intégration économique
Les retombées de la co-production se trouvent dans la mutualisation des compétences des différents pays de l’espace, extirpant la qualité dans la production faisant dégager de la valeur ajoutée. Le brassage des nationalités autour des projets orientés pour les populations induit inéluctablement de la solidarité facilitant davantage d’autres partenariats. Autre avantage : la réduction des coûts de production et donc une compétitivité des produits transformés localement et inaugurera l’existence et la viabilité d’un marché commun, des créations d’emplois absorbant le chômage vertigineux au sein de la jeunesse des différents pays réduisant de facto les tensions sociales y récurrentes.
Une première qui inaugurera des perspectives majeures telles que des projets dans l’éducation et la formation par la mise en place d’une grande université sous-régionale et voire un centre de recherche dans différents secteurs du futur, des projets pour l’éradication du paludisme en s’inspirant du modèle Sri-Lankais.
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Que dire du projet qui rame pour la sauvegarde du Bassin du Lac Tchad ? De l’accès aux énergies renouvelables, etc. ?
Autant de champs à couvrir où un seul pays n’y arrive et n’a les compétences pour…
La co-production influe et automatise la régression des rivalités économiques entre les pays et favorisera la paix dans l’espace sous pression des groupes armés tels que BokoHaram et Seleka. La libre circulation des biens et des personnes sera organisée avec ambition en renforçant la lutte contre l’insécurité et le fanatisme religieux.
Finalité ?
Le début du 21ème siècle ouvre des nouvelles perspectives pour chaque partie de la planète. À l’heure des replis identitaires menés par les Etats-Unis et dans son sillage l’Occident ; du danger de l’effondrement de l’économie de la zone Euro entraînant la fragilisation de l’Euro à laquelle est arrimée le Franc CFA, les pays de la CEMAC risquent de pâtir directement de ces situations.
Et avec un espace sous- régional soumis à des pressions plus en plus fortes dues à une économie de rente, fragilisant le tissu social marqué par un chômage de masse touchant en priorité une jeunesse malformée aux métiers du futur, l’Afrique Centrale est menacée d’éclatement ou d’être une zone de repli des groupes armés, pis être à la trappe et servir que de variables d’ajustement où de nouvelles offensives de la Russie et d’Israël sont loin de la philanthropie.
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Les différents pays de cet espace, en commun, sont assignés à inventer et proposer un avenir à leur jeunesse pour leur employabilité favorisant une immigration interafricaine. Cela sera possible en inventant un modèle d’intégration, via les organismes sous-régionaux, capable d’absorber les chômages endémiques, valoriser les savoir-faire locaux au profit directement des populations locales prenant part activement à la mondialisation.
Demain est plus à inventer qu’à découvrir
La CEMAC a frôlé la dévaluation de sa monnaie que déjà des voix s’élèvent demandant la fin du Franc CFA.
Quelles alternatives crédibles à cette monnaie sans un dynamisme économique corrélé de la viabilité d’un marché sous-régional et surtout de production locale de qualité ?
Aucun pays de l’espace CEMAC ne peut prétendre à lui seul faire face au monde qui se dessine.
Penser l’avenir en groupe est la piste à explorer avec détermination. Et donc l’impératif de mettre cette sous-région à la hauteur des Hommes se fait sourd. Des projets où chaque population de cette partie non moindre de l’Afrique se retrouve pour travailler, partager et produire déjà pour lui et participer activement à la marche du monde ne peut et ne doit être reporté au risque de voir l’éclatement de cet espace regorgeant de potentialités insoupçonnées.