Publiquement connue sous le nom Jennifer CERES, Jennifer Curcio, partie de l’anonymat il y a environ une décennie, est en train d’imprimer sa marque au secteur agricole en Côte d’Ivoire.
Productrice, réalisatrice et présentatrice de l’émission agricole «Brave Paysan» sur la télévision publique RTI1, son engagement pour l’agriculture ivoirienne fait l’unanimité au sein des acteurs dudit secteur.
La trentaine bien pleine, la jeune femme qui avait la possibilité d’avoir une carrière un peu plus glamour, a dû travailler d’arrache-pied pour vivre de sa passion en se consacrant à la promotion et à la valorisation de l’agriculture de son pays.
Magazine InAfrik : Quelles sont vos motivations dans la vie ?
Jennifer CERES : Je tire ma motivation principalement de Dieu qui est le maître de ma vie et qui m’a conduite jusqu’ici dans tout ce que j’ai eu à faire. J’aspire à continuer d’être un modèle pour notre jeunesse Ivoirienne, raison pour laquelle je suis toujours à l’écoute et prête à supporter leurs efforts.
J’ai eu la chance de naître en Côte d’Ivoire, un grand pays Africain qui est leader mondial dans plusieurs productions agricoles. Je suis par conséquent motivée par le désir de reconnaissance pour ces braves paysans et braves paysannes, pour ces parents dans le monde rural, ces frères et sœurs, dont la bravoure, les sacrifices, l’abnégation au travail, malgré les difficultés, permettent à notre économie d’être la meilleure de la sous-région depuis plus de 4 décennies et l’une des meilleures en Afrique et à travers le monde.
Je suis motivée par l’envie de leur exprimer ma reconnaissance chaque jour. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai lancé mon ONG il y a plus de 10 ans et c’est ce qui continue de me motiver aujourd’hui.
En clair, j’ai toujours été motivée par l’agriculture, l’économie verte, l’égalité d’opportunités indépendamment du genre (c’est-à-dire homme ou femme), l’épanouissement de la femme et de la jeunesse Africaine, le développement humain, l’aspect social, et la poursuite de l’excellence dans tout ce qu’on fait.
Comment êtes-vous arrivée à l’agriculture ?
Personnellement, je suis passionnée par l’agriculture depuis l’enfance. Je suis contente d’avoir suivi ma passion et je suis surtout contente de pouvoir contribuer à la construction et au développement de mon pays par mes différentes activités depuis plus d’une décennie. Je n’ai pas de regrets et si c’était à refaire, je le referai.
Je voudrais que nous encouragions nos filles, nos sœurs, voire nos mamans à poursuivre les activités pour lesquelles elles sont passionnées, sans discrimination et sans vouloir les enfermer à une certaine activité ou à les réduire simplement à certaines activités ou industries.
Nous devons continuer de donner les moyens aux jeunes hommes et aux jeunes femmes de faire les choix professionnels pour lesquels ils sont passionnés.
Comment avez-vous progressé dans ce secteur ?
Le secteur de l’agriculture en Côte d’Ivoire représente plus de 70% des emplois. Dans toutes les industries, il y a plusieurs fonctions. J’utilise ma formation en communication et ma passion de l’agriculture pour éduquer la minorité de notre population qui ne fait pas partie de ce secteur, pour défendre les différents intérêts du monde rural partout où je suis invitée à travers le pays et le monde, en vue de promouvoir une meilleure considération sociale, politique et économique de nos braves paysans et braves paysannes.
J’ai progressé de manière naturelle dans le secteur de l’agriculture. J’ai voyagé plusieurs fois à travers le pays, allant d’une région à une autre, d’un village à un autre, en montrant mon sérieux dans le travail, en discutant et en donnant la parole directement à nos braves paysans et braves paysannes.
Ma réussite jusqu’ici est aussi le résultat de mon grand investissement financier, matériel et intellectuel pour exceller dans mon travail.
N’y avait-il pas des préjugés à votre encontre ?
Bien sûr, au départ il y a eu des réticentes à plusieurs niveaux lorsque j’ai commencé à travailler et surtout au moment où j’ai lancé l’Agence de Valorisation de l’Agriculture, l’émission « Brave Paysan », les Journées Nationales pour la Valorisation de l’Agriculture, et même lorsque j’ai été nommée au CESEC.
De manière générale, beaucoup questionne votre intelligence, certains pensent que lorsqu’on est biracial, tout vous est offert gratuitement. D’autres estiment que lorsqu’on est une femme et qu’on est métisse, de manière intrinsèque, nous n’avons aucun mérite et notre réussite viendrait plus d’autres endroits que de notre propre travail.
Lorsque j’ai commencé, je ne connaissais personne, que ce soit dans les milieux du journalisme, à la télévision nationale, dans les cercles du pouvoir ou dans le gouvernement. La modeste reconnaissance dont je jouis aujourd’hui à travers le pays et à l’international est le fruit de ce travail de plus d’une décennie.
A quel besoin répond la création de l’Agence pour la Valorisation de l’Agriculture, des Ressources Animales et Halieutiques (AVA) ?
En début des années 2000, je me suis rendu compte que beaucoup de nos concitoyens dans les villes et centres urbains à travers le pays étaient complètement ignorants ou mal informés à propos des réalités du monde agricole.
En vérité, notre pays est un leader mondial reconnu dans le secteur agricole depuis les années 70 et depuis longtemps nous sommes le premier pays producteur et exportateur du cacao. L’agriculture et nos productions agricoles variées représentent notre richesse nationale.
Pourtant, très peu d’Ivoiriens savaient comment nous produisions le cacao, le café, l’anacarde. Certains n’avaient jamais vu une fève de cacao. Pour d’autres, l’agriculture, c’était l’histoire des autres.
La création de l’Agence pour la Valorisation de l’Agriculture était par conséquent motivée autant par un besoin d’éducation que par un souci de reconnaissance de nos braves paysans et braves paysannes et de défense de leurs intérêts.
Nos actions visent à promouvoir les métiers de l’agriculture, à lever les mythes et à créer un cadre d’émulation des opérateurs agricoles, à contribuer à améliorer la qualité et la compétitivité de nos exploitations agricoles.
Quel bilan faites-vous aujourd’hui et quelles sont les perspectives ?
Je pense que nous avons un bilan positif. Nous avons réussi à promouvoir l’agriculture de manière générale. Aujourd’hui, nous sommes invités à partager notre avis et notre expertise pour le développement du monde rural dans plusieurs forums.
Notre travail est reconnu nationalement et internationalement. J’ai été primée le mois dernier aux Etats-Unis pour le travail que nous faisons depuis plus de 10 ans.
Cependant, je pense que c’est au public, aux braves paysans et braves paysannes, ainsi qu’à la société civile de donner une appréciation de notre bilan. Nous avons l’intention de continuer de travailler pour la promotion des intérêts de nos braves paysans et braves paysannes.
Nous avons l’intention de nous ouvrir un peu plus que les années antérieures à nos partenaires à l’étranger, particulièrement aux Etats-Unis où nous sommes en train de travailler sur différents projets.
En Côte d’Ivoire, on vous surnomme « ambassadrice de l’Agriculture Ivoirienne. » L’assumez-vous ou pensez-vous que c’est exagéré ?
Ce sont les braves paysans et braves paysannes Ivoiriens qui m’ont initialement donnée ce titre honorifique d’Ambassadrice de l’Agriculture Ivoirienne. C’est lors des tournées pour l’enregistrement des émissions pour le téléfilm documentaire, « Brave Paysan ».
Il y a plus de 8 ans que je les ai entendu m’appeler l’Ambassadrice de l’Agriculture pour la première fois. J’imagine que cette appellation vient de mon engouement pour la défense de leurs intérêts.
Les agriculteurs ont continué d’y faire référence également lors des Journées Nationales pour la Valorisation de l’Agriculture dans chaque région ou nous nous rendions.
Officiellement, il y a environ 5 ans, lors des conférences de la société civile au siège de l’ONU à Genève que les organisateurs de la conférence m’ont formellement baptisée ‘’Son Excellence Madame l’Ambassadrice de l’Agriculture Ivoirienne’’.
Je ne sais pas si l’appellation est exagérée. Mais je prends ce titre honorifique comme une marque de reconnaissance et d’appréciation de ma modeste lutte continue pour la défense des intérêts des agriculteurs. Je pense que je l’assume chaque jour par mon travail.
Votre leadership et votre engagement en faveur des agriculteurs sont reconnus et récompensés aussi bien en Côte d’Ivoire qu’à l’étranger, quelles sont les récompenses que vous avez déjà reçues ?
C’est le résultat d’un long travail et de beaucoup de sacrifices. Je ne peux pas vous dire exactement toutes les récompenses que j’ai déjà reçues jusqu’ici. Je peux vous dire que je suis contente chaque fois de voir que nos braves paysans et nos braves paysannes à travers le territoire national et beaucoup de sympathisants à l’étranger, reconnaitre mes sacrifices à leur juste valeur.
Je suis contente de lire tous les commentaires et messages privés et publiques de support. Je suis honorée par la reconnaissance de mon pays, du President de la République qui a bien voulu me décerner une médaille d’honneur il y a quelques année.
Je suis bien entendu encouragée par tous les autres prix nationaux, régionaux, et internationaux qui concourent à mieux projeter nos différentes actions pour l’épanouissement économique, social, et culturel de nos agriculteurs à travers le monde.
Rien ne garantissait votre réussite dans un secteur comme l’agriculture dominé par les hommes, quel est votre secret ?
Dans le secteur de l’agriculture, les femmes sont majoritaires et non les hommes. Ma réussite jusqu’ici est le résultat de mon amour du travail. C’est aussi le résultat de beaucoup d’investissements, surtout financier.
Notre structure n’a pas et n’a jamais eu de subvention publique et par conséquent je paie personnellement les frais de production, de réalisation, et de diffusion de nos documentaires à la télévision nationale. En 10 ans, c’est plus d’un million d’Euros d’investissement que j’ai eu à débourser.
Au-delà du plan financier, il y a eu un fort investissement matériel et personnel pour voyager à travers le pays afin de rencontrer nos braves paysans et braves paysannes et à travers le monde. Aussi invraisemblable que cela puisse être, parfois j’ai dormi dans des zones rurales sans électricité, sans eau courante.
Mon équipe et moi avons fait l’expérience des mauvaises routes plusieurs fois lors de nos déplacements à travers le pays. Nous avons aussi dormi plusieurs fois à la belle étoile. Toutes ces expériences sont des sacrifices qu’il faut être prêt à faire, qu’on soit un homme ou une femme.
Vous êtes aujourd’hui l’une des personnes les plus influentes et les plus en vue de l’agriculture ivoirienne, comment gérez-vous la pression qui va avec votre statut et votre profession ?
Je vous remercie. (rires). Si je suis une des personnes les plus influentes et les plus en vue dans le secteur de l’agriculture, comme vous le dites, c’est par rapport à la constance de mon travail. Je fais quand même la même chose depuis plus de 10 ans.
J’ai une émission agricole que je produis, réalise, et présente de manière ininterrompue depuis plus de 10 ans… entre autres activités dans le secteur agricole. J’ai rarement le temps de penser à la pression encore moins à ce que vous appelez statut.
Je me lève chaque jour avec la même passion pour l’agriculture Ivoirienne et pour l’épanouissement économique, social, et culturel de nos braves paysans et braves paysannes.
Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs ivoiriens ?
Il y a plusieurs difficultés que nous abordons régulièrement dans les téléfilms documentaires de notre émission « Brave Paysan ». Nous vous invitons à visionner nos anciens numéros sur notre page YouTube AVA Cote d’Ivoire et à nous suivre tous les 2 dimanches en 15 à partir de 14h 30 sur la RTI 1.
Je peux brièvement noter que l’agriculture en Cote d’Ivoire est encore faite majoritairement avec des outils de travail archaïque. De manière générale, on en est encore à l’étape du travail manuel et de production artisanale. Les agriculteurs se plaignent donc normalement de la pénibilité du travail.
Par ailleurs, il y a un problème de la conservation et de l’écoulement des produits vers les marchés nationaux et internationaux. Il y a le sempiternel problème de la commercialisation de ces produits agricoles avec ses corollaires : Les paysans ne gagnent pas des revenus à la hauteur de leur travail ou de la vraie valeur relative des produits qu’ils mettent à la disposition des acheteurs. Ils ne maitrisent point la chaine de valeurs.
Par conséquent, ils n’ont habituellement pas suffisamment de moyens pour une couverture sociale adéquate voire pour leurs soins de santé, pas de moyens pour scolariser leurs enfants, pas de moyens d’être épanouis dans leur environnement socio-culturel.
Que faut-il pour faire de l’agriculture africaine un levier de développement durable ?
Il y a plusieurs solutions à lui apporter. Bien entendu, il faut d’abord savoir que tous les pays Africains ne sont pas au même niveau. Dans certains pays, le niveau de mécanisation est par exemple très avancé. Dans d’autres, la transformation locale des produits agricoles est une réalité depuis plusieurs années. Plusieurs pays Africains font également des investissements conséquents dans leur secteur agricole et entreprennent les ajustements politiques et économiques nécessaires.
Cependant, indépendamment du pays, je pense qu’il faut principalement aller vers la modernisation de l’agriculture africaine de manière générale. Nous avons beaucoup de techniques et habitudes de travail qui font partie de notre culture qu’il faudra conserver, mais il faut embrasser les nouvelles technologies de production agricole ; il faut adopter une meilleure gestion scientifique des politiques agricoles…il y a plusieurs stratégies et changements à apporter à l’agriculture africaine pour qu’elle continue d’être un levier de développement durable.
Les décideurs ivoiriens vous écoutent-ils ? Quels sont vos rapports avec eux ?
Je pense que mon travail est reconnu et salué à sa juste valeur. J’ai une bonne relation de travail avec tous les membres du gouvernement. Et, j’ai quand même été nommée par le Président de la République lui-même pour faire partie d’une importante institution consultative au sein de laquelle toutes les questions à caractère social, économique, culturel, et environnemental de notre pays sont débattues afin d’apporter des recommandations au Président de la République, au Président de l’Assemblée Nationale, et aux différents membres du gouvernement.
Oui, je suis Membre du Conseil Economique, Social, Environnemental, et Culturel de la Côte d’Ivoire (CESEC). Par conséquent, j’ai l’occasion de travailler avec les décideurs et de leur apporter ma modeste expertise et de partager les réalités du terrain avec nos dirigeants.
Par ailleurs, l’émission « Brave Paysan » qui donne habituellement la parole directement à nos braves paysans et braves paysannes est très suivie par la majorité de la population. Je pense que nos décideurs y prêtent attention.
Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie de couple ?
Je le fais comme toute autre personne. Je n’ai pas d’astuce spéciale. Sinon, j’ai toujours voulu garder ma vie privée séparée et en dehors de ma vie publique. Je suis passionnée par mon travail et à mon avis tout est une question de balance, de complicité, de compréhension mutuelle, et de grâce divine.
La vie professionnelle comme la vie de couple doit assurément reposer principalement sur le Seigneur et sur ces autres principes.
De manière pratique, c’est vrai que parfois je dois beaucoup voyager pour les besoins professionnels. Bien entendu tous ces déplacements peuvent être difficiles à supporter par moments, mais je fais un travail que j’aime et pour lequel je suis passionnée.
Je ne le fais pas par obligation ou par contrainte. Je suis contente de me lever chaque jour et d’avoir l’opportunité de représenter et de défendre, en cas de besoin, les intérêts de nos braves paysans et braves paysannes à travers le pays et à travers le monde.
Je suis honorée que ma modeste contribution aide tant soit peu le processus de développement économique et sociale de notre pays.