“Le poisson pourrit toujours par la tête” : difficile de trouver meilleure expression pour illustrer l’actualité de la nation ivoirienne. Sans vouloir tomber dans un défaitisme général, il serait inconscient de se réjouir des réalités socio-politiques dans lesquelles le peuple ivoirien baigne et dont les premiers responsables– on peut le dire sans sourciller-sont les leaders et dirigeants ivoiriens.
Tout est-il vraiment pourri ? Existerait-il un espoir, aussi minime soit-il, de voir émerger un jour une nation ivoirienne paisible et prospère ?
Certains veulent encore y croire et refusent d’être embarqués dans cette dynamique sombre. Ils décident de manifester cette foi à travers quelques actions, prises de paroles…prises de positions. Cependant, triste est de constater que ces “certains” représentent une minorité, d’ailleurs pas très visible.
Cet échantillon d’agissants se restreint encore plus à la minute où l’on essaie d’évaluer si cette foi est bonne ou mauvaise : Agir et/ou parler pour se faire remarquer, pour tenter de défendre l’indéfendable, pour critiquer et contredire sans argumentation, pour soutenir un “parrain”, pour défendre des intérêts personnels ; voici quelques exemples qui réduisent drastiquement la minorité de nos acteurs leaders optimistes et crédibles.
Avec ce trop peu de personnes concrètement concernées par l’avenir de la Côte d’Ivoire, on s’enfonce dans un silence de mauvais augure, voire coupable, une inaction généralisée : « on peut faire quoi ? », « On va faire comment ? », « Laisse ces politiciens-là », « Cherchons notre argent seulement » sont des expressions trop souvent entendues. Et pourtant, le bateau coule et nous coulerons tous avec lui, bons nageurs ou pas ; en commençant par l’équipage et son actuel capitaine.
“Président, on dit quoi ?” Les nouvelles ne sont pas bonnes. Dans notre quartier, avant-hier, à Abidjan, ici, le ciel était noir de fumée, les jeunes criaient, les femmes et les enfants couraient dans tous les sens, deux voitures en feu.
À l’Université de la commune, un homme blessé porté dans une brouette par des étudiants, pendant que leurs pairs s’échappent sinistrement d’un campus assiégé par des forces dites “inconnues.
À 50 kilomètres de là, des affrontements de rue à la machette, des corps tailladés, des magasins pillés, des véhicules caillassés, les routes “coupées”, les populations dans les rues. Dans une ville pas loin, en allant vers Assinie, on peut voir des murs de briques montés sur la chaussée en guise de barrages par une population hautement excitée et un mort…un mort de trop!
Voilà ça…! Il fallait bien que parmi les « certains » qui ont un peu de courage et qui cultivent encore un minimum de bonne foi, quelqu’un relate et relaie ces faits, car nos médias nationaux ne le font pas ou pas assez. Ce récit de faits inquiétants ne s’adresse pas qu’à l’actuel capitaine du bateau, mais aussi à ses collègues et amis, postés à quai qui espèrent, rêvent de prendre les commandes d’un navire au bord du gouffre, ceux-là qui comptent bien le remplacer. L’un parmi eux d’ailleurs a vu une de ses propriétés immobilières incendiée. Les paroles fortes ou les actes rassurants sont totalement absents à quelques jours d’une échéance plus que décisive pour la nation ivoirienne.
Ce mutisme chronique des médias nationaux est aussi ahurissant que le silence de la tête – à la bouche visiblement scellée, car trop pleine ou trop vide – du poisson ivoirien. Une paralysie générale qui ne fait que confirmer une incapacité de leur part à mener le peuple ivoirien vers la terre promise. Cette incertitude planante concernant leurs « aptitudes à faire » coupler à leur implication dans les crises un peu trop récentes sont une porte ouverte à leur disqualification directe du poste de capitaine.
« Capitaine, pardon, descends ! Les autres, nul besoin d’embarquer, merci ! »
Soixante (60) ans après une pseudo-indépendance, il serait temps de mettre fin à ces atmosphères surchauffées en périodes électorales. Le constat est clair et parlant. Ce chapelet de tristes faits et événements ne représente rien de nouveau sous notre soleil. 2000, 2010, 2020…même scénario, mêmes acteurs …même spectateurs et par-dessus tout, même victime : une jeunesse ivoirienne sacrifiée, perturbée, perdue.
Ballottée entre manque d’emplois, manque d’éducation, manque de repères, manque d’équilibre mental et physique, manque de vision, la jeunesse ivoirienne reçoit aujourd’hui de ses pères une malle pleine d’un héritage chaotique dont un des objets les plus malheureux est le conflit ethnique. Les événements malheureux cités dans les lignes précédentes ont en partie pour cause des relations inter-ethniques profondément dégradées. Le jeu politique a eu raison du peu de bonnes mœurs sociales existantes et des principes fondamentaux du vivre-ensemble.
“Une ethnie, une religion, un parti politique” aurait très bien pu être le slogan de la trop longue campagne menée par les dirigeants et leaders politiques ivoiriens durant ces 30 dernières années.
Ces élans génocidaires font craindre le pire et laissent place à des comparaisons effrayantes avec des faits passés trop bien connus dont les conséquences et les séquelles semblent éternelles. Les témoignages de nos cousins rwandais, ou plus proches encore et à moindre échelle de nos frères de Duekoué, suffiraient largement comme raisons d’éteindre les feux qui s’allument ci-et-là.
Le seul et unique objectif ici est d’éviter d’emprunter un chemin de non-retour.
Un soupçon de propositions fortes pour contrebalancer ces dénonciations serait très apprécié…
2020 et son lot d’événements, de crises devrait marquer positivement l’histoire d’un peuple ivoirien épuisé. Avec cet enchaînement d’épisodes déroutants, la solution à la crise ivoirienne actuelle pourrait découler d’actes simples, surprenants – car inhabituels-mais pertinents de la part de tous, pour le bien de tous : se retirer – se parler – s’engager.
Se retirer – Se parler – S’engager
Se retirer
Si la dignité personnelle, les honneurs venant du peuple, l’admiration de la part des générations futures, l’estime de la part de son entourage et même celle des adversaires comptent pour ces dirigeants; se retirer quand il y a lieu est le meilleur moyen de les conserver. Chers ainés, la balle est dans votre camp et elle y a toujours été d’ailleurs.
Le débat houleux -mais légitime- autour de la possibilité d’un troisième mandat du président sortant remet en cause une constitution volontairement ambiguë et surtout nous conduit tranquillement vers une énième crise électorale voire une guerre civile. Un ou plusieurs « Je me retire » pour éviter un tel désastre semble être un « deal » parfait.
Se parler
Au-delà du traditionnel dialogue recommandé par tout un chacun, des échanges et discussions profondes, sans tabou, sans hypocrisie, sans ego mal nourri, sans considération des gargouillis du ventre jamais plein …entre leaders politiques, ethniques, militaires, de la société civile… entre les différentes générations notamment, deviennent un indiscutable impératif.
Oui, il faut se parler pour évaluer le poids de l’histoire, pour définir les attentes de chaque groupuscule et génération et par-dessous tout pour entériner une solution viable et durable de sortie de cette crise trentenaire. Oui, il faut « se dire les gbês » pour aller vers une Côte d’Ivoire nouvelle.
S’engager
L’ultime combat parmi les combats. Si l’équipage actuel et ses capitaines se retirent, si leurs bons vieux compagnons de route n’embarquent pas… qui reprend les rênes ? La fameuse et discutable nouvelle génération ? La jeunesse ivoirienne est-elle prête à s’engager ? D’ailleurs qui est cette jeunesse ivoirienne ? Quels en sont ses leaders? Pourquoi s’engager ? Comment le faire comme il le faut ? Des questions auxquelles on pourrait répondre si et seulement si on en discutait, on se parlait (cf. Se parler)
Avoir 80 ans, passer le flambeau à un ami de 60 ans et reprendre le flambeau en cas d’indisponibilité de ce dernier ; briguer à 90 ans une position qu’on a déjà occupée quand on avait 60 ans… ne sont certainement pas des actes allant dans le sens de la favorisation de l’implication et de la participation active d’une nouvelle génération aux plus hautes instances décisionnelles d’une nation (Cf. Se retirer). Instances décisionnelles et décisions qui de surcroit concernent une population composée à 77,3% de personnes âgées de moins de 35 ans (INS_RGPH2014)
Jeunes, engagez-vous… Et démarrera ainsi un nouveau cycle pour une Côte d’Ivoire jusque-là défigurée, mais pleine d’espoir.
« Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien » Concluait brillamment Edmund Burke.
Edmund Burke